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Un bâtiment dont il ne reste bientôt plus que le squelette

Des hommes en tenue de protection : avec ordre et précision, ils retirent des matériaux potentiellement dangereux. Si l’assainissement des polluants est une obligation légale, l’engagement pour des solutions environnementales novatrices et la sécurité au travail est une obligation morale.

Lorsque Christoph Jegge a examiné pour la première fois le plan des garages datant de 1972, il s’est posé la question devenue rituelle dans son métier : que vais-je trouver dans cet édifice qui n’apparaît pas au premier regard ?

Quelles substances couramment utilisées par le passé, mais aujourd’hui considérées comme dangereuses, sont présentes dans les plafonds, le crépi, les peintures, les masses d’étanchéité, les joints de fenêtre et autres armoires électriques ? Ingénieur en environnement, spécialisé en diagnostic des polluants, Christoph Jegge étudie les bâtiments en vue de leur décontamination et les concepts d’élimination correspondants. Avec son collègue de travail Christophe Sion, ingénieur en chef de la deuxième étape de construction du centre administratif à la Guisanplatz, il a passé, de février à mi-juin 2020, le plus clair de son temps dans le complexe de bâtiments 11/12. Ils ont prélevé des échantillons de masse d’étanchéité des joints et détecté des polychlorobiphényles (PCB), un polluant cancérigène. Ils ont carotté le crépi et analysé les deux couches de base et les deux couches de finition : alors que ces dernières étaient exemptes de polluants, les couches de base contenaient de l’amiante. Ils ont retiré les plinthes pour examiner la colle, étudié l’isolation, le béton et les taches d’huile. En résumé, ils ont systématiquement analysé l’ouvrage à démolir, dans les moindres détails.

Le parking couvert, âgé de près de 50 ans, et la station-service de l’armée seront démolis pour laisser la place à une nouvelle construction, le bâtiment D. Quatre mois durant, les deux ingénieurs ont inspecté l’édifice existant dans ses moindres recoins. Les échantillons prélevés ont été cartographiés, photographiés, analysés en laboratoire et documentés. Ils forment les pièces d’un puzzle, qui, une fois assemblé, permet de définir la manière de séparer les matériaux recyclables et les polluants, tels que l’amiante, les PCB, les hydrocarbures ou les paraffines chlorées, de les enlever et de les éliminer. Leur épais rapport d’expertise – plus de cent pages – est joint à la demande de permis de construire. Ce dernier sera accordé par l’autorité compétente, qui approuvera également les concepts d’élimination.

« Cela fait douze ans que je fais ce métier », déclare Herman Quintero. « C’est un travail exigeant, surtout le désamiantage. Il faut être en excellente condition physique. » Responsable de l’équipe d’assainissement, il dirige entre 10 et 20 spécialistes. Revêtus de leur tenue de protection, ces derniers exécutent les travaux selon les instructions de Christoph Jegge et de Christophe Sion.

Qu’ils soient à usage résidentiel ou commercial, les bâtiments construits en Suisse avant 1990 sont susceptibles de contenir des produits à base d’amiante, dont plus de 3000 ont déjà été identifiés. L’amiante est présent partout : des vasques à fleurs au revêtement de façade, en passant par le crépi des murs. Ce matériau fibreux, d’origine minérale naturelle, possède des propriétés intéressantes : il est résistant, ignifuge, peu onéreux et a été utilisé en grandes quantités, partout dans le monde. Toutefois, l’amiante est aussi extrêmement cancérigène et donc dangereux pour les ouvriers chargés des travaux de déconstruction à la Guisanplatz. En pareil cas, la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva) contrôle minutieusement le respect des prescriptions de la Confédération en matière de sécurité et de santé au travail.

Les ouvriers travaillent dans des zones fermées hermétiquement, accessibles par une série de quatre sas. Équipés de combinaisons blanches et de masques à adduction d’air, ils font penser davantage à des chercheurs d’un laboratoire de virologie qu’à des spécialistes chargés d’enlever le crépi au burineur. Herman Quintero : « En règle générale, nous passons en moyenne 30 minutes dans la zone. » Après 90 minutes au maximum, un ouvrier retourne à l’air libre, par les quatre sas. Il décontamine les outils dans le premier, l’équipement de protection dans le deuxième. Il passe ensuite à la douche pendant au moins trois minutes et se rhabille dans le quatrième sas. Un rituel qui se répète jusqu’à quatre fois par jour. Lorsque le crépi tombe, l’air se charge de millions de fibres d’amiante par mètre cube. Afin de neutraliser cette poussière, l’air est filtré. Le sol, les murs et le plafond sont nettoyés à l’eau. La valeur limite est de 1000 fibres par m³.

Un laboratoire spécialisé analyse les filtres à air et donne son feu vert dès que la zone est à nouveau sûre. Entretemps, les débris pollués sont hermétiquement emballés, les sacs sont étiquetés et préparés pour le transport à la décharge spécialisée. Christoph Jegge explique que dans le langage courant, le terme « site contaminé » est souvent utilisé à tort. Il conviendrait plutôt de s’interroger sur le bien à protéger. Lorsque le sous-sol est pollué, on parle de site pollué, alors qu’un site contaminé est un site pollué qui doit être assaini, parce qu’il met en danger des biens à protéger, tels que la nappe phréatique, le sol ou l’air. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de protéger l’environnement. Une station-service, comme celle de la Guisanplatz, est un cas typique de site pollué, mais il ne s’agit pas pour autant d’un site contaminé. Il en va autrement des polluants du bâtiment, tels que l’amiante ou le PCB. Ici, la sécurité au travail est primordiale, afin d’éviter toute atteinte à la santé des travailleurs exposés à ce genre de danger.

Au premier étage du parking couvert, Andreas Bill positionne son chariot élévateur sous l’une des poutres en acier d’une quarantaine de mètres de long. Il est lui aussi équipé d’un masque et de vêtements de protection. Il commence par nettoyer soigneusement une poutre sur une largeur de 60 cm, afin d’enlever tous les résidus de peinture. Les poutres de 40 mètres, trop grandes pour être transportées, et tous les piliers doivent être découpés au chalumeau. Or, la peinture anti-corrosion des poutres contient des PCB, qui, sous l’effet de la chaleur, dégagent des dioxines et des furanes, extrêmement toxiques. « Une question intéressante, à laquelle nous avons trouvé une solution innovante », explique Christoph Jegge. Dans un premier temps, il avait été envisagé de confiner l’ensemble de l’édifice et de lessiver intégralement l’acier.

En raison du danger que cela représentait pour les ouvriers, les spécialistes ont identifié les poutres qui pouvaient être découpées à froid, au moyen de la pince de démolition. Seuls les éléments trop grands seront séparés à chaud à des endroits bien précis. Il suffira alors d’enlever la peinture de part et d’autre de la ligne de coupe. « Ce procédé sur mesure nous a même permis de réduire les coûts », déclare Christoph Jegge. Les poutres doivent être découpées en 320 sections, mais au lieu de devoir lessiver les poutres sur toute leur longueur, il suffira d’intervenir aux 60 endroits où elles seront découpées. Les poutres découpées seront alors amenées directement chez Stahl Gerlafingen AG (SO), où elles seront fondues.

Les éléments qui faisaient partie de l’édifice sont déposés dans la cour, entre le garage et la station-service, et soigneusement triés : feuilles goudronnées, bois, détecteurs d’incendie à source radioactive et tubes fluorescents. Les PCB contenus dans les masses d’étanchéité pouvant imprégner le béton, les ouvriers ont enlevé au burineur 2,1 km de joints au sol, sans compter les joints dans les murs. Les joints des quelque 1000 m² de fenêtres en façade, quant à eux, contiennent de l’amiante. Le coût total de la décontamination s’élève à environ un million de francs. Ce montant représente moins de 1% du crédit de construction approuvé par le Parlement et correspond à la valeur indicative habituelle. « La tendance est clairement au renforcement des prescriptions », explique Christoph Jegge. « Elles nous imposent sans cesse de nouvelles tâches. Nous essayons par conséquent de trouver la meilleure solution, qui va au-delà du simple respect des lois, des aides à l’exécution, des directives et des prescriptions environnementales édictées par la Confédération, les cantons et les communes. J’aime relever les défis : maîtriser l’assainissement et les coûts, tout en optimisant les travaux. »

En ce qui concerne les sols en béton, il est en passe de gagner ce défi. Généralement, on enlève sept centimètres à la fraiseuse. Une solution rapide et onéreuse, qui produit beaucoup de déchets spéciaux. L’équipe Sion/Jegge souhaitait procéder de manière plus différenciée, en séparant les déchets, afin de n’éliminer que le strict nécessaire. Et elle a trouvé la parade. Il suffit d’enlever une couche de trois à cinq centimètres aux endroits souillés par de l’huile ou du carburant. Christoph Jegge : « L’effort est plus grand, mais l’avantage est double : ce procédé est moins cher que la solution globale et presque tous les gravats peuvent être revalorisés par le centre de recyclage Novakies à Latti, à 20 minutes de Berne. »

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Pour l’homme et l’environnement

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